Oui mais... mon capitaine ?
Un lointain dimanche 7 août
Maman m’avait dit oui pour un bateau. Je le poussais avec le bâton, comme le monsieur m’avait dit. Le cercle du bassin était lisse et plus profond que je l’imaginais. Autour, les plus grands se regardaient et moi je regardais voguer la coque en bois. Je surveillais le vent pour qu’il m’aide à jouer. La grande aiguille sera bientôt sur le 6 et il faudra rentrer. J’imaginais une souris sur le plancher qui s’ouvre, oreilles dans la brise. A l’abordage et les enfants d’abord. Je ne les avais pas vu venir. Et ma maman s’était assise sur un banc. C’était la plus belle. Le monsieur à côté semblait penser la même chose car il s’approcha de son visage pour regarder avec elle vers sa montre. Le bracelet de cuir me piquait le nez pendant les câlins d’avant la nuit, mais elle la portait toujours, en souvenir elle disait. Je ne les avais pas vu se rapprocher. Ma souris imaginaire était bloquée au milieu du lac. La grande aiguille ne menaçait plus de rendre le bateau. Elle souriait. Riait même. Le vent frais commençait à m’agacer. Je voulais rentrer maintenant. Je ne les avais pas vu tomber de si haut. En un seul souffle fracassant, les grands arbres qui faisaient les ombres amusantes étaient par terre. Le drapeau pirate décolla de la surface de l’eau, avec tous les autres, brandissant le cauchemar. Du bleu, un grand trait jaune feu, du noir. Beaucoup de noir.
Un autre dimanche 7 août, plus tard
Le fourgon avança jusqu’à son terrain. Ils vivaient là.
La ville s’agitant à plus de trente kilomètres. On devinait déjà les terrasses qui dévalaient modestement leurs verdures et leurs pierres. A chaque recoin, on y aurait pu deviner une période de vie, inspirée par le voyage, les rencontres, la joie et l’amour, et même ici et là, les traces d’une tacite solitude.
La partition était en dentelle. Du vin au savon, tout était de qualité, local et choisi avec délicatesse. Dans le fait maison, la vapeur du repas, les ronrons des chats et les meubles propres et construit sur des années, s’était infiltrée depuis longtemps, une profonde bienveillance. C’était vrai à croire, juste là, et simple. En une journée, j’avais dévalé les escaliers de la gare de cette province et ceux de mon agacement intérieur qui trouvait enfin un peu de paix. En montant dans le fourgon, la Norvège, l’Asie, l’Afrique, l’Italie avaient également pris place entre les deux sièges à l’avant. Au fil de la route et de nos échanges, les petits rideaux tombaient, égarant quelque langage familier qui faisait plutôt rire que juger. Nous, ces deux humains, se rencontraient,
impulsés dans notre démarche et parlaient des choses fragiles qui nous connectaient alors à un ressenti du monde similaire. Il me parlait de sa femme que j’avais entrevue à une exposition parisienne, un lointain hiver dont je n’ai que ce souvenir. M’étaient restés en tête sa corpulence à lui, ses traits longilignes à elle, des visages bien en face, partout sur les murs et des statues de bronze vert aux yeux creusés.
Quand elle monta les petites marches du salon cabane pour me saluer, je fus surprise d’une troublante ressemblance. Ce n’était ni plus ni moins que la grande forme humaine des statues de l’exposition qui me souriait de bienvenue. En coupant du pain, elle articulait de douces phrases quotidiennes sur la température de la piscine de la ville et on se régala d’un jus de fruit, en parfait gouter. Elle nageait tous les jours, venait de Norvège et ses contours filaient avec la grâce d’une sauterelle apaisée. Il m’avait dit qu’elle resterait une enfant. Ce salon avait d’oniriques allures de cabane en bois où veillaient des livres clair le long de coussins orientaux sur des futons asiatiques. Dans une pièce rajoutée il y a quelques années, un piano dormait au dessus d’une voiture en bois pour enfants, qui avait dut avancer toute seule un jour. Sa femme avait servi le fromage sur une petite assiette et la tisane fraiche du jardin avec des biscuits et du miel, tapissant aussi la table de petites bougies blanches. Dans son oeil droit à lui, s’érigeait une lune ronde et pleine qui parlait des femmes qu’il aimerait désormais peindre, dans ce même instant où elle caressait l’air de gestes pour le rendre apaisant. Quel parfait tableau.
La partition était en dentelle. L’après-midi, on avait trouvé une lumière qui filtrait à travers les vitraux de l’église. On ira faire des photos en studio demain, avait-il dit en vu d’un tableau sur le thème d’un grenier de l’enfance, peut être bien.
Entre le 7 et le 18 août
Quelques jours rayés blanc et noir, sans écouter d’histoires. J’avais déjà pleuré toute l’absence. J’en étais donc lavée ?
Samedi 19 août
Il était la demi à ma montre. J’ai repris le bateau vers la capitale. Vers ce cercle lisse qui n’existe plus mais qui laisse une place vide pour ce que je veux. J’imagine.
- Ça peut prendre du temps, bien plus qu’un été, tu crois ?
- Evidemment, il y a des gens qui auraient besoin de plusieurs vies pour régler les questions que tu te poses. Qui ne prennent pas le temps. Qui ne voient pas où cela coince et qui avancent. Et on ne voit même pas très bien lorsqu’ils boitent.
- Je m’en serais bien passer, de cette espèce de descente aux enfers. Il y a des chanceux aussi, qui ne vivent rien de dramatique.
- Tu penses que ca existe ? (silence) On n’est jamais à l’abri. Vivre la vie suffit.
- Oui, mais mon capitaine… je veux dire, les imbéciles heureux, tu vois ?
- Alors là. Je ne sais pas si c’est plus enviable. Je ne sais pas.